Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe connaît un déferlement de produits culturels tous droits venus des États-Unis. Là-bas, la science-fiction connaît son âge d’or. Depuis les premières revues spécialisées dans les années 1920, la SF connaît une production massive et un succès sans précédent que l’Europe ne découvre qu’à partir des années 1950. Cette science-fiction américaine est publiée grâce à la création de revues et de collections dédiées au genre. C’est notamment le cas des revues Fiction et Galaxie, toutes deux lancées en 1953. Ces revues sont largement alimentées par des traductions de nouvelles d’auteurs américains mais elles vont rapidement ouvrir leurs portes aux auteurs francophones. Plusieurs figures importantes s’y feront connaître comme l’écrivain belge Jacques Sternberg.

Fiction - 1 - octobre 1953
Fiction - 303 - juillet-août 1979
Galaxie - 1 (deuxième série) - décembre 1954
Galaxie - 73 (deuxième série) - juin 1970

Les contours de l’œuvre et le parcours de l’auteur ne sont pas faciles à définir. Quoi qu’il en soit, il est indéniable qu’il joue un rôle dans la mise en avant d’une certaine vision du genre en France. Pourfendant la science-fiction, qu’il jugeait trop commerciale et stéréotypée, véhiculée par les grandes collections populaires comme « Le Rayon fantastique » (Hachette Gallimard) et « Anticipation » (Fleuve Noir), il défend une approche plus élitiste, plus qualitative du genre représentée dans la revue Fiction et dans une autre collection emblématique apparue dans les années 1950 : « Présence du futur » (Denoël). Après un premier roman, Le Délit, publié chez Plon en 1954, c’est d’ailleurs chez Denoël qu’il publie, en 1956, La sortie est au fond de l’espace puis, en 1958, le recueil de nouvelles Entre deux mondes incertains. S’il fallait tenter de circonscrire l’œuvre de Sternberg, il conviendrait de l’inscrire, par son pessimisme et sa noirceur, dans la tradition dystopique.

Sternberg, Jacques - La sortie est au fond de l'espace
Sternberg, Jacques - Contes Glacés
Sternberg, Jacques - Entre deux mondes incertains
Sternberg, Jacques - Futurs sans avenir

Arrêtons-nous quelques instants sur cette science-fiction populaire critiquée par Jacques Sternberg. L’ampleur du travail fourni par quelques chevilles ouvrières belges dans la production massive de titres pour les grandes maisons d’édition françaises d’après-guerre, comme Les Presses de la Cité ou le Fleuve Noir, n’est pas toujours connu. Pour la science-fiction, on trouve chez ce dernier la collection « Anticipation ». Entre 1951 et 1997, elle accueille la plupart des grands auteurs francophones de science-fiction qui y font souvent leurs premiers pas, et constitue ainsi l’une des plus importantes collections du XXe siècle pour le genre. Cinq auteurs belges s’y font une place non négligeable : Jean-Gaston Vandel (pseudonyme commun de Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse), Peter Randa et Christopher Stork (qui cache Stéphane Jouravieff et José-André Lacour). Ceux-ci assurent une présence belge dans la collection pendant près de 40 ans et y publient environ 200 titres (soit 10% de l’ensemble de la collection) : une contribution considérable à cette science-fiction de divertissement loin d’être dénuée d’intérêt.

Vandel, Jean-Gaston - Anticipation 7 - Les chevaliers de l'espace
Randa, Peter - Anticipation 286 - La solitude des dieux
Randa, Peter - Anticipation 619 - métamorphose
Stork, Christopher - Anticipation 1154 - Tout le pouvoir aux étoiles

Toujours du côté de cette production massive, impossible de passer sous silence la contribution de Marabout dans la production d’une science-fiction d’origine belge. Il faut attendre le milieu des années 1960, et l’impulsion de Jean-Baptiste Baronian alors éditeur pour la maison verviétoise, avant de voir apparaître une collection consacrée au genre : « Marabout science-fiction ». Celle-ci s’oriente principalement vers la traduction d’auteurs anglo-saxons. On y trouve tout de même quelques textes originaux et quelques rééditions remarquables, notamment de Rosny aîné. Cependant, c’est du côté de la collection Marabout Junior et plus précisément dans la série Bob Morane de Henri Vernes, que l’on trouve l’une des plus importantes contributions belges au genre. En effet, Bob Morane, bien que lancée à l’origine comme une série d’aventures, s’ouvre rapidement à d’autres horizons. Il ne faut pas attendre longtemps avant de voir apparaître les premières thématiques propres à la science-fiction. Dès 1955, la série n’a alors que deux ans, Henri Vernes s’y attelle dans Les Faiseurs de désert où l’auteur imagine un virus capable de détruire toute la végétation de la planète. Le recourt aux thématiques science-fictives se fait systématique à partir des années 1960, notamment avec la création du « Cycle du Temps », si bien que des 200 titres de la série, un bon tiers relève peu ou prou de la science-fiction et fait d’Henri Vernes l’auteur belge le plus prolifique du genre.

Marabout science-fiction - Anthologie de science-fiction soviétique présentée par Jacques Bergier
Marabout science-fiction - Poul Anderson - La Patrouille du Temps
Bob Morane - Les monstres de l'espace
Bob Morane - Le retour de l'Ombre Jaune

Malgré quelques succès retentissants, la science-fiction reste majoritairement affaire de fans. Une grande partie de sa production ne touche qu’un petit noyau d’amateurs et les auteurs, occasionnels ou non, peinent souvent à trouver des débouchés à leurs récits. Dans ce contexte, le fanzine a joué un rôle fondamental, d’autant plus pour des auteurs belges bénéficiant de bien peu de relais éditoriaux. Les tentatives professionnelles ne manquent pourtant pas, mais ne durent jamais. En plus des éditions Marabout, la Belgique peut se targuer d’avoir connu, avec « Le roman scientifique » des éditions Polmoss en 1919, la première collection de SF (elle ne durera que le temps… d’un titre : Le Secret de jamais mourir d’Alex Pasquier) et, avec Anticipations des éditions de La Lucarne (15 numéros entre 1945 et 1946) la première revue entièrement consacrée au genre.

Au-delà de ces expériences ponctuelles, le milieu du fanzine, ces petites revues amateurs fabriquées avec les moyens du bord, est particulièrement vivace et actif entre les années 1960 et les années 1990. La Belgique s’illustre même par l’abondance des propositions qui y naissent : d’abord celles de Claude Dumont, français de naissance mais belge d’adoption, qui crée Lumen en 1963. Dans son sillage, se créeront d’innombrables titres comme Atlanta de Michaël Grayn ou encore Mizar de Michel Feron. Parmi les titres notables, il y aura Xuensè du prolifique Alain Le Bussy, Ides… et autres de Bernard Goorden, Between de Thierry Stekke (plus connu sous le pseudo de Dominique Warfa) ou encore Phenix de Marc Bailly. Autant de titres qui permettrons aux auteurs belges de SF (Le Bussy, Dartevelle) et surtout au nouvellistes (Dominique Warfa, Serge Delsemme) de publier et de faire leurs premiers pas dans le milieu de l’édition.

Between N°2001 - janvier 1975
Leodum SF - 5 - Alain Le Bussy
Ides... et autres - 22 - antan en emporte le vent - anthologie SF belge
Phenix - hors-série fanzine belge - antologie imaginaire belge
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